ROCK-DECREPITUDE

Publié le par Jacques Charlier

ROCK-DECREPITUDE.

On durcit à certaines places, on pourrit à d'autres ; on ne mûrit pas. Sainte-Beuve.

Cela fait un bon demi-siècle, que quelques accords piqués au blues et à la liturgie protestante américaine, ravissent nos sociétés atteintes de jeunisme pathologique. A l'origine, c'est-à-dire, au début des années cinquante, ces variations basiques entraînantes symbolisaient la venue sur le marché de la consommation, d'une musique réservée à un public adolescent. Illustrant ainsi sa "rupture" avec le monde adulte, tout en dépensant son argent. Depuis le Rock a confondu les générations, au point de devenir une manière de vivre et d'entretenir une marginalité imaginaire, opposée à une bourgeoisie paternaliste tout aussi illusoire. Un point dur de ralliement infantile, où règne l'individualisme absolu, où tout se vaut, où chacun fait ce qu'il lui plaît, sauf ironiser sur les stars indéboulonnables de la rock’n’roll attitude. Après Woodstock, on aurait dû passer à autre chose, mais c’était sans compter sur la lucidité de ceux qui allait le mettre à toutes les sauces et le transformer en ressource naturelle.

De la chaîne hi-fi de salon, en passant par l'auto radio. Du café restaurant aux toilettes des hôtels de luxe. Des crachotements du baladeur du voisin de compartiment TGV au talus des brocantes de campagne, c'est le même lancinant marteau piqueur, dominé par le Rock et ses dérivés primaires.

Devenue religion classique pour Prisunic et Top cinquante, cette mode musicale a pourtant subit de violents assauts par les enfants naturels nihilistes du Velvet, les Sex-Pistols et autres Ramones, mais rien n'y fit. Ni les punks, skins, rastas, skas, new wave ou autres post- Travoltas n'ont pu endiguer les lancinants recyclages staracadémiques d'Elvis, des Stones et des Beatles. Implacablement, au fil du temps, les vieillards les plus réacs, se sont convertis à Prince , Madonna 1) , Michael Jackson, tout en restant fidèles à Tina Turner. Cette continuelle confiscation de la musique "jeune", est d'autant plus périlleuse, lorsqu'elle est adaptée poussivement par la variété française.

Depuis le début des années soixante, il est symptomatique de voir avec quel acharnement, les plus antiaméricains d'Europe s'évertuent à simuler les tics et tocs d'outre atlantique avec de sérieux décalages horaires, tels le Rap, le Slam, la Techno, et autres labels à la mode.

Le grand héros français de l'aventure de » Salut les copains », est sans équivoque Johnny Hallyday, qui réunit à lui seul, un ensemble de clichés dévastateurs qui révèle ce singulier beaufisme transgénérationnel dont souffre la France de haut en bas. Riches, pauvres, incultes ou lettrés, jeunes, vieux, hommes, transsexuels, femmes et enfants, reconnaissent en "Jeannot Vacance"ex Jean-Philippe Smets, le chantre de l'éternelle jeunesse indomptable. Pourtant, quoi de plus pathétique que le voir apparaître en moto, le visage raviné, la tignasse colorée, la moustache- barbichette prolo, les bras recouverts de tatouages stupides, avec en selle, sa dernière pseudo Lolita. Ce n’est pas cette vision pénible, qui empêche d’avoir dans nos villes et villages francophones, ses sosies et ses clones, jouant la rebellitude infantile par procuration. Son prochain retour au village fera
pleurer de bonheur dans les chaumières. 

Mais les inoxydables Mike Jagger, Iggy Pop, Mac Cartney, Bob Dylan, Cher, témoignent aussi cette volonté tragi-comique d'infléchir le destin, c'est à dire, maintenir le vieillissement en stand-by, en barrant la route aux vrais ados. Pareil aux blue-jeans, qui eux non plus, n'en finissent pas d'imposer la ringardise avec une énergie décorative sans limites, le Rock pénètre enfin , dans les antichambres des galeries et des musées. On voudrait y voir l'heureux présage d'une mise en bière définitive.

La vraie jeunesse d'aujourd'hui pourrait alors enfin s'ébrouer et oublier ceux qui les empêchaient de prendre leur place. Les vrais vieux n'auraient plus qu'à souder leur Fender obsolète sur leurs chaises roulantes avant de passer à la casse. Histoire de foutre la paix à ceux qui voudraient que çà change, parce que c'est la vie.


                                                                                                                 Jacques Charlier,2007

1) »J’aime beaucoup la musique de jeunes » Jacques Chirac.

 

 

 

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